LE FRET À LA VOILE A DE NOUVEAU LE VENT EN POUPE !

932 millions de tonnes. C’est la quantité de CO2 émise par l’industrie du transport maritime en 2015, presque cinq fois celle de la France sur une même période, et c’est sans compter le dioxyde de soufre, l’oxyde d’azote et les métaux lourds toxiques dégagés par le fioul non raffiné et sale qu’utilisent les navires. Si le tableau de la pollution liée à la navigation est noir aujourd’hui, il menace encore de s’assombrir. D’ici 2050, ils pourraient augmenter de 50 à 250% selon l’Organisation Maritime Internationale (OMI) si rien n’est fait.

 

L’industrie maritime repose aujourd’hui presque exclusivement sur des carburants fossiles, une stratégie non durable aux terribles conséquences pour l’Océan. Pourtant, c’est seulement lorsque surviennent des tragédies qu’on rend conscience de leur impact. Ainsi, à l’heure actuelle, la vraquier Wakashio échoué au large de l’île Maurice continue de déverser ses mille tonnes de fuel en plein milieu d’une barrière de corail, malgré les appels à l’aide du président du pays.

 

 

fuel

Le Wakashio échoué déverse son fioul – AFP

 

 

Le défi est donc de taille, et il s’impose de façon de plus en plus évidente : le transport maritime doit changer. L’OMI s’est fixé un objectif : réduire de 50% les émissions de CO2 d’ici 2050. Et si la solution se trouvait dans l’une des plus anciennes techniques de propulsion utilisée par les marins ? Le transport maritime s’est longtemps contenté d’une source d’énergie dont l’abondance frappera tous ceux qui sont déjà allés à la mer, le vent. Jusqu’à l’avènement des premiers bateaux à vapeur au XIXe siècle, c’est à la voile que s’est effectué la grande majorité du commerce international. Sans émettre le moindre gramme de CO2, les navigateurs ont connectés les continents et initié des échanges commerciaux à l’échelle mondiale. N’ayant pas d’autres solutions, ils avaient redoublé d’ingéniosité pour faire du moindre souffle leur moteur. Face au devoir de se réinventer, le transport maritime est-il en train de remettre le cap vers le monde des voiles ?   

 

 

Des modes de transport alternatifs

 

 

C’est en tout cas le pari que font de nombreuses entreprises, françaises notamment, certaines en choisissant de renouer avec la tradition, d’autres en proposant des solutions de propulsion modernes et innovantes.

 

 

Le charme de produits authentiques, l’aura des vieux gréements, la fierté de vendre un produit d’origine équitable dont l’impact environnemental a été minimisée tout au long de la chaine production, c’est ainsi ce que propose par exemple l’entreprise française TOWT (Transoceanic Wind Transport). Dans la lignée des pionniers néerlandais d’Ecoclipper et de leur brigantine Tres Hombres relancée en 2007, l’entreprise importe depuis 2009 du rhum, du thé ou du café depuis les Antilles, à bord d’anciennes goélettes reconverties. Labellisés ANEMOS, les produits transportés à la voile se font de plus en plus fréquents dans les supermarchés.  Conscient de l’expansion effrénée de ce secteur, la compagnie s’est lancée dans le projet de construction d’un voilier cargo pouvant transporter près de 1000 tonnes, et économisant ainsi 10 000 tonnes de CO2 par an. Lancement prévu : 2021.

 

vent

La goélette Tres Hombres importe du rhum, du café et quelques passagers depuis 2007

 

 

Le secteur semble en effet déchainer les enthousiasmes, et gagne progressivement en légitimité en attirant parmi ses clients de véritables mastodontes industriels.  Première surprise, Renault, le géant automobile français, devrait bientôt acheminer ses véhicules à Saint-Pierre et Miquelon à bord de deux cargos à voile de 136 mètres affrétés par la compagnie nantaise Néoline, pouvant transporter près de 500 voitures chacun. Autre projet d’ampleur, ce sont les cabinets d’architecture naval français Zéphyr & Borée et VPLP qui auront la charge de concevoir le navire hybride de 121 mètres qui transportera en Guyane la colossale fusée Ariane 6. Loin de ressembler à un gréement traditionnel, ce cargo futuriste utilisera une nouvelle technologie de voile automatisée, qui lui permettra de doubler l’efficacité des voiliers d’antan et de réaliser d’importantes économies de carburant (entre 15 et 42%).

 

 

Enfin, l’entreprise Grain de Sail, créée en 2010, a elle déjà mis à l’eau son premier voilier cargo, le VOTAAN72, pour acheminer le café et le chocolat qu’elle produit. Pionnier dans sa catégorie, il devrait effectuer sa première transatlantique cette automne, un test suivi de près qui permettra d’évaluer la viabilité du modèle.

 

Les géants de la navigation mondiale en passe de se convertir.

 

vent

Le Maersk Pelican équipé des rotorsails de Norsepower.

 

 

Par ailleurs, une véritable course technologique est en train de se mettre en place, alors que la   demande pour des voiles innovantes à installer sur les plus gros navires du monde commence à se développer. Le puissant constructeur de moteurs de bateaux finnois Wärtsilä s’est ainsi associé à la startup Norsepower pour développer des voiles à rotor. Ces voiles, qui ressemblent à des grosses cheminées, reprennent une invention des années 1920 et tirent profit de l’effet Magnus pour tourner sur elles-mêmes et faire avancer le navire. Si certains porte-conteneurs utilisaient déjà des cerfs-volants pour faire quelques économies de carburant, ces stratégies prennent désormais une ampleur nouvelle. La première compagnie maritime au monde, Maersk, a déjà installé deux voiles rotor sur son superpétrolier Pelican. Celles-ci ont déjà permis de réduire de 10% sa consommation de carburant, et font écho à la stratégie ambitieuse du titan suédois d’être complètement neutre en émissions carbone d’ici 2050.

 

 

Bien qu’encore balbutiantes, ces initiatives sont une bonne nouvelle. Pour l’heure, le fret à la voile ne représente encore qu’une goutte d’eau dans l’océan des 10,5 milliards de tonnes transportés chaque année sur les mers du monde. Cependant, si les plus grandes compagnies commence à s’y intéresser, c’est un nouveau marché potentiellement propre et durable qui s’ouvre, portant avec lui de nouvelles perspectives d’emploi et de nouveaux modes de navigation entièrement décarbonés. Alors toutes voiles dehors !

Retour haut de page